Chroniques de Philippe Curval

Rudy Rucker : le Secret de la vie

(the Secret of life, 1985)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :
Contes à déboires

Parfois, les parutions suscitent des configurations néfastes. Ainsi en est-il de ce mois où deux astres en opposition créent une sorte de vide. Pourquoi ne pas en parler néanmoins ? Ne serait-ce que pour suggérer qu'en Science-Fiction, les chefs-d'œuvre n'abondent pas plus qu'ailleurs.

Le premier de ces astres à l'apparence d'une nova. Il s'agit de Rudy Rucker dont Maître de l'espace et du temps a créé une belle surprise l'année dernière. Las ! frappé du même virus contagieux qui a réduit Spielberg et les autres à la sénilité infantile, notre merveilleux Rucker, paré de tous les talents, n'a pas résisté à l'épidémie dont souffre le cinéma américain.

Tout commençait si bien, pourtant. Conrad Bunger s'interroge soudain : « Le ciel et l'enfer, c'est jamais que de la Science-Fiction. Mais n'y a-t-il vraiment rien du tout après la mort ? ». Il faut dire que notre héros, en pleine crise d'adolescence, vient d'être ému par les œuvres de Sartre, ce qui est rare à Louisville. De surcroît, ses études ont créé chez lui une véritable aversion pour la religion catholique. Ce dégoût et cette inquiétude existentielle l'amènent à s'écœurer de la persistance de la matière quand il pelote les nénés de sa petite amie. L'affaire est grave au point qu'il simule un suicide avec une cartouche à blanc. Réflexe instinctif, son corps s'envole pour échapper à la balle. Pourquoi cet extraordinaire pouvoir ?

Commence alors une époustouflante enquête qui mènera notre Conrad à épuiser ses cinq dons pour apprendre qu'il est extraterrestre, né de la rencontre fortuite d'un jambon de porc et d'une soucoupe volante. Sur ce plan, rien à dire, notre auteur travaille dans le cousu main. Il séduira ceux qui aspirent à l'évasion des bluettes.

En effet, la fine fleur intellectuelle de l'Amérique semble élevée par monsieur Spock. Préférant les clins d'œil appuyés du feuilleton aux jongleries métaphysiques auxquelles il nous avait habitués, Rudy Rucker cède alors à toutes les facilités qu'offre la nostalgie des années soixante. Beatles, boums, soûleries, banquettes arrière des Chevrolet. Ne subsiste plus alors qu'un mince filet d'imaginaire exploitant les ficelles du conte de fées et du conte philosophique. Exit, la spéculation et l'invention ; la SF devient tiédasse.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 238, février 1987

Francis Lalanne : Ajedhora

roman de Science-Fiction, 1986

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :

Second astre bien éteint, Francis Lalanne vient de publier Ajedhora. Dans son remarquable dos de couverture, il conclut : « Aux confins de l'utopie et du baroque, Ajedhora est un livre rock. ». Dans ces conditions, Cyrano de Bergerac et ses innombrables successeurs sont des auteurs de rock, ainsi que Bakounine et la longue lignée des utopistes libertaires. S'il souffre de nostalgie, c'est de celle des siècles passés.

Puisant largement aux sources de la SF et du conte philosophique, il nous emmène au cœur d'une astronef peuplée d'Humains, fuyant la planète natale trop polluée vers un nouvel éden habitable. Ne nous épargnant aucun poncif, les descendants de l'arche, repliés dans une position fœtale, ne veulent plus sortir de leur cocon. Un accident les fait ajedhorir. Le dernier rejeton des Hytlhoday, famille régnante, parvient à s'en échapper. Il découvre une race de reptiles parvenus au sommet de la civilisation.

À vrai dire, l'initiative de ce jeune chanteur populaire venant à la SF m'avait paru sympathique. J'adore les utopies libertaires. Ce roman était plutôt mieux écrit que d'autres. Son seul dommage : une absence totale d'originalité thématique, philosophique, sociologique et politique, un humour de patronage (par exemple, le présentateur de T.V. locale s'appelle Léon Zitronok). Bref, un livre qui vous tombe des mains. Et comme je n'ai pas de batterie sous la main, impossible de me réveiller. Dernier détail : par quelle narcissique mégalomanie l'auteur éprouve-t-il le besoin de mettre sa photo pleine page sur la couverture ? Sans doute se rêve-t-il l'empereur de son utopie.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 238, février 1987

Frederik Pohl : Rendez-vous à la Grande Porte

(Heechee rendezvous, 1984)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 1987

par ailleurs :

Parachevant sa trilogie légendaire, Pohl la réactive par un thème ambitieux : les mystérieux Heechees dissimulés derrière l'insondable Grande Porte ne sont-ils pas à l'origine de la flambée de terrorisme qui menace la Terre ? Caressez les trous noirs et ils deviennent vicieux. Souhaitons une tétralogie.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 238, février 1987