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Roger Bozzetto : écrits sur la Science-Fiction

Quelques auteurs choisis…

Louise Michel et l'utopie libertaire

Première publication : les Contemporains de Jules Verne : aux frontières de la légitimation littéraire. Lez Valenciennes 40, décembre 2007, p. 103-111, sous le titre de "Louise Michel, Jules Verne et l'utopie"

« À de grands intervalles dans l'Histoire se transforme,
en même temps que le mode d'existence,
le mode de perception des sociétés humaines »

Walter Benjamin

Louise Michel et Jules Verne se sont croisés dans le siècle, même s'ils ne se sont peut-être jamais rencontrés [1]. Pourtant ils avaient presque le même âge, étaient tous deux écrivains et sont morts la même année. La légende prétend que Louise Michel aurait vendu à Jules Verne un manuscrit dont il aurait tiré Vingt mille lieues sous les mers, mais il n'en existe aucune preuve [2]. Louise Michel a participé à la Commune, a été déportée en Nouvelle-Calédonie, comme Pascal Grousset le futur André Laurie. Elle s'est impliquée dans les luttes sociales, a défendu les “damnés de la Terre”, à la fois par ses actes et dans ses textes.

En particulier dans deux ouvrages, qui touchent aux utopies et à leur évolution en fonction des possibilités nouvelles offertes par les inventions techniques et scientifiques. Ces deux textes se distinguent des préoccupations verniennes touchant l'avenir, il s'agit du roman le Monde nouveau et de la brochure l'Ère nouvelle [3]. Verne a peu participé à des luttes sociales. Il a certes récrit une utopie, mais elle provenait du manuscrit de ce qui deviendra les Cinq cents millions de la Bégum vendu à Hetzel par André Laurie, cet autre exilé de la Commune. De toute évidence les utopies ne l'intéressaient pas, sans doute parce qu'elles touchaient aux conséquences sociales des inventions, et que ce n'était pas cela qui intéressait Jules Verne. Ses inventions après un itinéraire narratif complexe finissent par disparaître, avant d'impliquer une réflexion nouvelle sur la société, exception faite de Paris au XXe siècle, que l'éditeur Hetzel avait refusé de publier.

Un territoire original

Louise Michel a voulu utiliser les ressources du roman d'anticipation et celles des utopies pour contribuer à la lutte à laquelle elle participait, contre l'ordre bourgeois du XIXe siècle. Pourquoi utiliser la forme de l'utopie ? Parce que le combat social est aussi une lutte d'images et s'appuie sur des figures et des représentations. D'où à la fois l'utopie et son utilisation dans un cadre romanesque.

L'utopie est une création à la fois oxymorique et ironique — il s'agit d'un lieu qui est un “non lieu” C'est dire qu'il s'agit d'une spéculation discursive mais ironique. C'est bien ainsi que More proposait qu'on lise son texte, qui faisait pendant à l'Éloge de la folie d'Érasme, son ami.

More oppose à la réalité de son époque qu'il connaît, un état idéal fondé sur des principes égalitaires, mais il ne prenait pas son idée au sérieux car les conditions historiques en rendaient la réalisation impossible. Par contre, le XIXe siècle présente une ouverture sur un avenir différent, malléable, grâce à l'industrie. Alors le “non-lieu” utopien se transforme en un “futur possible”, un lieu d'anticipation, un avenir à construire.

En effet ce qui était impensable au XVIe siècle devient envisageable au XIXe siècle. Les conditions techniques ayant évolué, comme le montre avec fascination Verne, d'anciennes propositions de l'utopie ont pu être tentées, après avoir été imaginées comme réalisables [4]. En retour certains écrivains ont imaginé une caricature de ces utopies, en en prenant le contre pied : ce sera les dystopies, dont la plus connue alors était le Monde tel qu'il sera [5]. Elles contribuèrent à combattre au nom de la “liberté”, le projet utopien. Ces écrivains “libéraux” ont commencé par stigmatiser la vie quotidienne des utopiens de base et imaginant qu'elle était vécue sous contrainte et que cela les déshumanisait. Au discours utopique qui se voulait “révolutionnaire” et égalitaire s'est donc opposé le discours “libéral bourgeois” de la dystopie. Utopie et dystopie sont donc apparues comme deux figures du discours polémique sur la place des projets de société dans l'espace politique. Opposition qui se ressasse depuis le XIXe siècle, chacune des figures proposant une image du bonheur social selon ses recettes et diabolisant l'autre [6] dans un combat figé, selon des règles désuètes.

Louise Michel propose une image différente, libertaire de l'utopie, et refuse la coupure avec l'Histoire, proche en cela de Wells qui insérera les inventions scientifiques dans la dimension historique comme on le voit dans la Machine à explorer le temps.

Louise Michel et l'utopie

Curieusement le nom de Louise Michel n'est cité ni chez les historiens de l'Utopie ni chez ceux de la Science-Fiction. Seul Pierre Versins consacre quelques lignes à un Monde nouveau[7] mais il ne mentionne pas l'Ère nouvelle [8]. Pourtant Louise Michel participe d'un mouvement d'idées et de luttes qui change la place et le sens des utopies [9]. L'Ère nouvelle est un discours programmatique qui propose des perspectives d'avenir où la base utopique figure comme une étape. Et Louise Michel en montre la place et l'utilisation par le déroulement dans la fiction du Monde Nouveau où cette base et cette étape est en liaison avec la Révolution nécessaire.

Dans le Monde nouveau, la base utopienne, qui est souvent présentée comme une “colonie”, est liée au développement des sciences et des techniques, et elle est en rapport avec une sorte de nécessité historique qui est l'avènement d'une nouvelle phase du développement de l'Humanité.

Cette utopie se distingue aussi par l'absence de lois coercitives : il s'agit de la première utopie libertaire (loin d'être libertine !) de l'époque industrielle [10].

Pourquoi Louise Michel a-t-elle choisi d'écrire cette utopie romanesque et de mettre en, scène son programme ?

Une nouvelle utopie

Dans le Monde nouveau, Louise Michel profite de la vogue d'ouvrages où l'aventure, la science, la technique se combinent, comme chez Jules Verne, mais chez elle, cela permet d'envisager d'autres “possibles” sociaux et humains [11]. Elle ne s'en tient pas à une simple mythologie du progrès lié à la science. Elle voit les profits à tirer de son développement pour une nouvelle forme de société : une cité ouverte qui réconcilie la nécessité de lois nouvelles et la liberté créatrice, afin d'établir ces rapports nouveaux entre les hommes.

Si l'Ère nouvelle est un texte programmatique, le roman le Monde Nouveau ne craint pas de viser le domaine de ce qui sera la science-fiction. Il se termine sur la possibilité de communiquer avec les habitants d'autres planètes, « qui depuis là-haut nous font signe » (p. 353). La mort des civilisations humaines y est envisagée, tout comme un éventuel bouleversement de l'état actuel des terres émergées

Par leur place dans une stratégie et un programme politique (l'Ère Nouvelle) ainsi que par le caractère libertaire de sa constitution (le Monde Nouveau) ces œuvres proposent du neuf dans le domaine spéculatif. La science et les techniques d'une part — comme pour Jules Verne — mais l'expérience de la Commune, le développement des Internationales socialistes, aussi bien que les échecs des actualisations de programmes utopiques “à l'ancienne”, tout amenait Louise Michel à repenser le rôle et la fonction de l'utopie, ainsi que son insertion éventuelle dans la lutte pour l'émancipation humaine [12].

Place et rôle de l'Utopie dans le Monde nouveau

L'ensemble du roman peint les injustices, les crimes, les révoltes qui ont lieu dans le monde contemporain de l'auteure, mais il abrite la colonie utopienne : des liens qui relèvent du romanesque et de l'idéologique se tissent entre les deux textes

Voyons l'aspect romanesque. La colonie est fondée par Gaël, le savant, mais elle est approvisionnée en hommes et en matériel par Josiah, le rescapé d'un naufrage, et capitaine d'un brick qui sillonne les mers [13]. S'y retrouvent, entre autres, Jacques le sculpteur, ainsi que Daga, un Canaque échappé du bagne.

La colonie se présente comme l'envers du bagne, lui-même métaphore du monde extérieur. Le développement de la colonie utopienne est lié aux voyages du “brick fantôme” conduit par Josiah, qui sauve les victimes (rescapés du bagne, nihilistes russes, etc.). Ainsi la colonie est-elle à la fois un havre (p. 158), et le lieu d'une expérimentation. Dès l'avant-propos l'auteure la peint comme un endroit « Où quelques-uns de ces désespérés essaient de vivre comme ils pensent qu'on vivra demain » (p. 2).

Ces liens romanesques permettent à l'a cité utopique de se trouver en phase avec le monde réel, par la permanence des révoltes et la nécessité de la lutte. Ce choix romanesque implique des visées idéologiques.

La colonie utopienne est établie dans les terres arctiques, près de la Mer de Baffin — entre le Groënland et le Canada. Elle est le creuset d'une double expérience, sociale et scientifique. Sociale car il s'agit de créer un lieu où « nulle chose, nul être ne serait torturé pour en obtenir des déviations qui causent nos crimes » (p. 275). Scientifique, grâce à Gaël, « dont la science domine de quelques siècles celle de l'Europe » (p. 275). Bien que Louise Michel ne donne aucun exemple des réalisations scientifiques nouvelles. Mais elle est présentée comme une « éclaircie sur l'avenir » (p. 147). Par son mode de développement, sa position dans un ensemble politique, la colonie utopienne articule un modèle expérimental (un autre possible) à la lutte concrète des opprimés qu'elle sauve. Elle articule la science et la technique à la nécessité d'une Révolution mondiale. Ce lieu utopien est une base révolutionnaire.

Une utopie libertaire

Même si elle est proposée comme réussie, cette colonie n'est pas un modèle à transposer mécaniquement. Dans ses Mémoires, Louise Michel pense que « Même physiquement, l'homme ne nous ressemblera pas ». Parce que « dans les libres groupements où s'éveillent des aptitudes nouvelles, les connaissances acquises grandissent ». On notera l'inversion de la proposition classique de l'utopie. Chez More, c'est la société qui est “heureuse”, les individus n'ayant pour devoir que d'être “vertueux”. Ici, c'est parce que chacun évolue, que l'ensemble se bonifie.

Ce n'est pas non plus une utopie purement technologique à la manière dont sont présentées Franceville et Stahlstadt, même si on y forge des armes. Autre originalité, l'art n'est pas un sous-produit de la technique : « les découvertes scientifiques avaient marché comme le progrès des arts » (p. 156). Si l'on dit peu de choses de ses nouvelles œuvres c'est qu'il « est difficile de dire où ils en sont avec nos mots » (p. 190) [14]. Ces hommes et ces femmes, ayant choisi de vivre “en avant” ont retrouvé les lois les plus simples, celle de la libre association :

« chacun suivant pour son œuvre son attraction, telle ou telle occupation tel ou tel groupe humain ; ce qui lui fait s'assimiler et répandre, en même temps, l'intelligence des autres et la sienne » (le Monde Nouveau, p. 114).

L'utopie au quotidien

Les utopies sont en général présentées du point de vue d'un dirigeant, occultant les problèmes de la vie des individus au quotidien, à l'inverse de ce qui fait l'intérêt des dystopies. Ici, le quotidien nous est montré, même si c'est très brièvement. Il reste un peu de la famille nucléaire mais « la famille c'est le monde » (p. 236). Les colons utopiens vivent néanmoins librement, seuls ou en groupe : rien de systématique et des couples perdurent s'ils le désirent. Une seule réunion informelle présentée, mais elle est très symbolique. Autour d'un bon feu, on trouve le Canaque Daga, Madame Basis (la femme du savant Gaël), les Jaboulet et un ex-détenu politique « ces simples, qui, suivant leur intelligence, s'étiraient au soleil de la liberté, s'y chauffaient, heureux, ne pouvant autre chose » (p. 245). Pas d'élitisme non plus : il s'agit de donner à chacun selon ses besoins et ses désirs, non selon son travail — ce n'est pas un hasard si l'on cite Kropotkine (p. 285). La thèse implicite, fouriériste, implique que c'est uniquement par la “libre attraction” [15] entre eux et les choses, entre eux et les autres, que leur liberté devient productrice de futur. Des individus de diverses races, de divers pays s'y sont rencontrés et coexistent. Cette colonie n'est évidemment ni xénophobe, ni colonialiste. Ici, le proverbe attribué à tous les prétendus “sauvages” et qui prétend que « le pied de l'Européen ne se pose pas sur un sol libre sans le dessécher » (p. 239) se révèle faux.

Cependant, l'auteure — qui a été déportée en Nouvelle-Calédonie — comme certains de ses personnages, a la nette conscience qu'il y aura une résistance à vaincre, celle des profiteurs de l'ancien monde. Le modèle d'expansion par sympathie et par osmose risque d'être contrarié : d'où la nécessité de la lutte et la nécessaire articulation entre le vaisseau et le développement de la colonie utopienne.

Une vision eschatologique

On notera que dans les deux textes, une vision est en travail, que l'on peut rattacher au millénarisme. Mais alors que pour les millénaristes, il s'agit de retourner à un état antérieur, à une nouvelle Jérusalem, ici il n'est question ni de peuples ni de races élues.

Bien que messianique, la pensée n'est pas religieuse. La thèse explicitée est la suivante : on aborde à une nouvelle phase du développement de l'Humanité par les merveilles que la science — création humaine collective — invente chaque jour, et qui devient le moyen de remettre sur le droit chemin l'évolution inéluctable, qu'une organisation sociale dépassée tente de figer dans un système infantilisant et absurde.

Ce discours rationnel se développe sur le mode lyrique tout au long de l'Ère Nouvelle. D'une part le renouveau est inscrit dans la nature « pareil à la sève d'Avril, le sang monte au renouveau séculaire du vieil arbre humain » (p. 3). La métaphore, comme dans Germinal, se fonde donc sur une nécessité naturelle. Et il ne faut pas se fier à l'apparence, qui voile que les choses sont en mouvement. La société bourgeoise est comme les cadavres, qui « garde[nt] encore une apparence humaine quand on les ensevelit » (p. 3). Cependant ce n'est là qu'un leurre : un monde est si vermoulu qu'il ne tiendra pas devant l' « Océan de révolte » qu'il suscite (p. 17), et le renouveau qu'il réclame.

Ce renouveau implique des changements dans la répartition des richesses nouvelles créées par l'industrie : en cette ère d'abondance, la règle doit être “tout à tous”. Le travail, allégé par les machines, ne sera plus une corvée. Les humains, dégagés des tâches nécessaires à la survie pourront enfin se livrer au travail créateur : alors l'humanité sortira de sa chrysalide (p. 5). Le loisir, conquis par le grand nombre aboutira à ceci, que, des cerveaux jusqu'ici confinés à des tâches sans intérêt surgiront « des idées impensables, neuves et puissantes » car « dans les cerveaux incultes germent des idées fortes, pleines, pareilles aux poussées de végétation dans les forêts vierges » (p. 11). Ainsi l'homme retrouvera « la main créatrice des pionnier » (p. 11), car « l'esprit qui pressent l'ère nouvelle plane dans l'avenir » (p. 19).

En attendant, la colonie est le moyen d'ébaucher quelques lignes de ce futur, elle permet, par cette sorte d'éclaircie faite sur l'avenir de voir « graviter les groupes humains comme on voit, par-delà nos yeux rudimentaires, avec le télescope, rouler les astres dans le noir de l'espace » (le Monde Nouveau p. 147). Alors, l'harmonie sociale sera en phase avec l'harmonie naturelle ; le dialogue avec les autres mondes de l'espace pourra commencer.

On assiste donc dans ces textes à la rencontre synergétique de tous les thèmes sur l'avenir de l'humanité qui ont agité la fin du siècle : elle fait son miel de la science qu'elle déifie et de Saint Simon, tout comme Jules Verne qui s'en est inspiré. Mais elle est aussi nourrie de Fourier, de Kropotkine, de bien d'autres dont Camille Flammarion. Elle laisse aussi entrevoir son expérience personnelle des luttes, de la vie en communauté, de la solidarité des déportés. Mais elle n'est pas fascinée par les inventions comme semble l'être Verne. Elle n'en exploite aucune, laissant dans le vague les inventions prêtées à Gaël. Elle ne se situe pas du côté des anticipations techniques qu'elle semble ignorer, à l'opposé de ce qu'aime à faire Jules Verne.

Ce qui étonne un peu devant cette vision future, présentée comme ancrée dans un présent de lutte, c'est le peu d'intérêt accordé aux relations entre les sexes. La liberté est certes absolue dans l'utopie arctique, mais l'auteure se garde d'en dire plus. Est-ce dû à une sorte de cécité [16]. J'avance l'hypothèse que c'est par ce qu'elle imagine que les inégalités dans les relations entre hommes et femmes dans la société de départ sont des résidus artificiels, qui disparaîtront d'eux-mêmes quand la société nouvelle sera en place, comme il en va dans les utopies socialistes. Comme le chante Brassens « la suite lui prouva que non ».

Notes

[1] Gérald Dittmar : Louise Michel (1830-1905). Dittmar, 2004.

[2] Pierre Versins : Encyclopédie de l'utopie, des voyages extraordinaires et de la science fiction. l'Âge d'homme, 1972. Articles "Louise Michel" et "Anarchie".

[3] A. Le Roy : l'Ère nouvelle, pensée des derniers jours de Calédoni, 1887 (brochure de 23 pages) ; un Monde nouveau, Dentu, 1888.

[4] Jean Christian Petitfils : la Vie quotidienne des communautés utopistes au XIXe, Hachette, 1982.

[5] Émile Souvestre : le Monde tel qu'il sera, 1864. Il répondait au Voyage en Icarie d'Étienne Cabet, 1840.

[6] Jules Verne échappe difficilement à ce manichéisme dans Les Cinq cents millions de la Bégum.

[7] Le roman comporte trois parties. L'une qui se passe à Paris voit Roll, le juge, qui condamne et fait condamner des innocents au bagne, pour des crimes qu'il commet. L'autre qui se passe dans la colonie, et où il est fait mention de Josiah et de son brick fantôme. La troisième, quand Roll arrive à la colonie et la détruit. L'épilogue est situé à Paris, où Roll est démasqué. Mais ailleurs la base antarctique de Josiah continue. Dans le roman l'utopie est en liaison avec le mouvement de l'Histoire.

[8] Voir Alexandre Ciorănescu : l'Avenir du passé, Gallimard, 1972 ; Jean Servier : Histoire de l'utopie, Gallimard, 1967.

[9] Dans la perspective du matérialisme historique de Marx et Engels, l'utopie est au contraire escapist par rapport à la matérialité de la lutte sociale, et presque un “allié objectif” du monde bourgeois. Louise Michel se référera à Fourier et Kropotkine.

[10] Avant l'époque industrielle, on trouve ce que l'on peut nommer des Arcadies. On peut encore appliquer ce terme au fameux Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot. Après l'avancée technique, on trouvera surtout des utopies et des dystopies. L'utopie que je nomme “libertaire” est celle qui se fonde sur les principes de liberté de chacun comme moteur de l'histoire et non sur la prééminence des règles pour figer dans une perfection illusoire un état anhistorique idéalisé. L'utopie classique, du type de celle de More sera combattue par les dystopies, mais il n'existe pas à ma connaissance de critique littéraire de l'utopie libertaire. Pour les rapports entre les utopies, les dystopies et les “utopies ambiguës” voir R. Bozzetto "la Subversion de l'utopie par le récit". Autrement dire 1/2. Presses universitaires de Nancy II, 1987, p. 155-168.

[11] 1888 est la date de publication aux U.S.A. de Looking backwards, de Bellamy dont la parution déclencha une polémique sur l'avenir du socialisme. Jules Verne publie depuis plus de vingt ans et Vingt mille lieues sous les mers date de 1869.

[12] Une actualisation possible d'un programme utopique fut, en 1847, l'ICARIE de Cabet, aux U.S.A. dans l'Utah. Son échec hanta bien des mémoires. Louise Michel avait alors 17 ans.

[13] Comme le fait Nemo, l'anarchiste, dans Vingt mille lieues sous les mers

[14] On se souvient que, dans le musée de l'Île à hélices, les milliardaires américains n'admettaient pas les peintres impressionnistes considérés comme “décadents”.

[15] Cette notion d'attraction signale la lecture de Charles Fourier.

[16] De même, si elle s'est inspirée de Fourier pour ce qui concerne le mode de prolifération de l'utopie, elle n'en a pas gardé ce qui renvoyait à l'aspect de “nouveau monde amoureux”.

Certains ont prétendu que Louise Michel n'a pas vraiment connu de vie sentimentale et que ceci expliquerait cela. On notera plutôt que c'est un aspect que bien peu d'utopies (ou de dystopies) abordent avant le Meilleur des mondes, sauf peut-être William Morris dans ses Nouvelles de nulle part (News from Nowhere, 1891). Pour une analyse des rapports entre utopie et féminisme, voir Guy Bouchard : "les Utopies féministes". imagine… 44, juin 1988, p. 63-87. Jules Verne lui-même s'est peu étendu sur le sujet, mais c'est sans doute parce qu'il écrivait pour la jeunesse, public que ne visait pas expressément Louise Michel, et que d'autre part Hetzel veillait.

Les références bibliographiques sont sous la seule responsabilité de Roger Bozzetto ; celles qui ont été vérifiées par Quarante-Deux sont repérées par un astérisque.